À l’horizon

Pour accentuer le mal du pays, parfois une odeur suffit. Vivre loin de chez soi est une épreuve. Elle se traverse emplie d’ambivalence. Tiraillé entre la douceur des découvertes et l’aigreur de l’éloignement du cocon que constitue un chez soi. En trois décennies, j’ai vécu sur trois continents. Le mal du pays est pourtant un malaise qui m’est étranger. Ce n’est pas pour autant que je suis un être dépourvu de racines et acculturé. Le métissage culturel dessiné en moi est une identité qui m’embarque vers un horizon haut en couleurs.

J’ai vu le jour au pays des mille collines, au coeur du continent berceau de l’humanité. Les tragédies de cette région des grands lacs ont fait que j’y vive moins de dix ans. Après avoir découvert plusieurs pays africains, ma famille posa ses valises de réfugiés en Europe. C’est ainsi que s’incorpora la culture française à ma mosaïque identitaire. Avec envergure, car jusqu’à présent, la France est le pays où j’ai le plus vécu. Mon esprit n’a cessé d’être attiré par les lieux où se brassent les cultures. Après trois années pleines d’aventures à Dublin, la petite cosmopolite Irlandaise, j’ai atterri à Toronto. La métropole canadienne où tous les continents sont solennellement représentés.

Les premiers mois dans cette ville furent remplis de rencontres. Lorsqu’il m’était demandé d’où je viens, le manque de concision de ma réponse prêtait à sourire. Cette question pouvait à la fois faire référence à l’endroit où je vivais avant Toronto, autant qu’à ma nationalité et à mon identité culturelle. J’avais alors décidé d’y répondre en évoquant les trois aspects à la fois. Loquace, je me présentais comme français d’origine rwandaise venant d’Irlande. Cette affirmation suscitait chez mon interlocuteur un regard déconcerté, tel celui d’un lecteur découvrant l’exergue d’un livre qui semble dépourvu de lien avec le titre. À ce lecteur, il lui faut relire et analyser une telle épigraphe. Quant à moi, je devais expliquer la complexité de ma réponse.

Par la suite, vint le moment où une amie me demanda si j’avais le mal du pays. Pour cette question aussi, ma réaction n’eut rien de laconique. À cet instant, je réalisai que le mal du pays était un trouble étranger pour moi. Non pas que j’ignore ce que le terme signifie, mais parce que j’ai le sentiment de ne pas l’avoir expérimenté. À l’évidence, j’ai un attachement particulier pour le pays où je suis né et pour celui où j’ai grandi. Pour ces endroits, je ne ressens pas de manque troublant. Il n’existe pas de lieu que j’appelle spontanément chez moi. En poussant la réflexion plus loin, je me rendis compte que mon chez moi n’est pas un lieu, c’est un acte. L’écriture. C’est uniquement par la démarche d’écrire que je me sens chez moi, où que je sois. Surtout, cette activité me permet de me connecter et d’être en harmonie avec ce que j’ai en moi de rwandais, de congolais, de camerounais, de français, d’irlandais, d’angolais ou même de canadien. Le pouvoir d’être partout où notre coeur penche est une des vertus de l’écriture. J’en ai fait mon refuge. J’en ai fait mon chez moi.

Tout mal de pays m’étant étranger, le métissage culturel dessiné en moi est une identité qui m’embarque vers un horizon haut en couleurs. Chaque jour j’apprends à m’inspirer de ce qui m’a forgé. De ce périple entre passé, présent et futur, est née la quatrième rubrique de mon journal de émotions. Elle s’intitule “À l’horizon”.

Mon roman L’impuissance d’une présence toujours disponible ici

4 réponses sur « À l’horizon »

  1. DORAH Thérèse

    « A l’horizon », très bel article qui suscite pleins d’émotions et la nostalgie s’y invite! Merci pour ce pic de rappel d’un voyage sans fin. Toujours en marche vers de nouveaux horizons riches en découvertes, nous voilà vivre!

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  2. Carole

    J’aime votre style. Nous amener à réfléchir d’une façon… avec une petite pointe d’humour. C’est si instructifs.

    Où puis je me procurer les romans svp

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