Sa résilience

Il a suffi d’un coup de fil. Celui de sa mère. Elle voulait s’assurer que sa fille aura assez de nourriture. Une période étrange venait de s’ouvrir en France. Pour Aimée, c’est ce coup de fil qui amorça son angoisse de perdre la vie, seule dans son appartement, loin de sa famille et de ses amis, cloitrés aussi chez eux. Deux mois auparavant, la quarantaine de la ville chinoise de Wuhan semblait lointaine. En ce mois de mars 2020, après l’Italie, c’était le tour de la France de se confiner pour ralentir la parade du virus aux couronnes. Pensant se protéger d’un autre virus, celui de la psychose, la jeune femme avait préféré éviter les magasins où des foules s’arrachaient frénétiquement du papier toilette. Après ce coup de téléphone, elle réalisa qu’il lui manquait des aliments qu’elle avait l’habitude de consommer. Pensant au risque de pénurie, l’effroi l’envahit. Survint ensuite le souvenir d’autres types de confinements qu’elle a vécu enfant, vingt-quatre ans auparavant. Ce fut dans un camp de réfugiés, puis dans une forêt vierge, pourchassée par des rafales et des bombes. L’instinct de survie qui la sauva, elle et sa famille, allait s’avérer utile pour elle, deux décennies plus tard, seule dans son appartement.

En pensant à ses confinements d’enfance, Aimée se rappela de la bouillie. Un sourire s’esquissa sur son visage. Elle venait de constater que les provisions qu’il lui restait dans sa cuisine pouvaient lui permettre de se nourrir de bouillie pendant des semaines. Deux décennies plutôt, lorsqu’elle parcourut à pied deux mille trois cents kilomètres de forêt vierge, les jours de bouillie étaient des jours de fête pour son estomac. Comparé à ce qu’elle a vécu dans la forêt équatoriale, ses conditions de confinement en France étaient luxueuses.

En 1998, au bout de deux ans de traversée de la forêt équatoriale, la pré adolescente Aimée était certes traumatisée, mais elle était surtout fière d’avoir survécu et débordait de gratitude pour ses parents, qui eux aussi respiraient encore. Car au cours de cette périlleuse traversée, des enfants, des hommes et des femmes de tout âges ont rendu l’âme dans des conditions aussi atroces les unes que les autres. Rafales, bombes, famines, malaria, choléra, attaques d’animaux sauvages, difficile de dresser la liste exhaustive des dangers mortels auxquels Aimée échappa pendant sept cent trente jours. Dès lors que ce calvaire était derrière elle, son salut fut de se trouver une thérapie vitale pour son équilibre émotionnel. Elle se soigna par l’humour. De nombreuses personnes ayant vécu les mêmes traumatismes se sont murées dans un silence sans fin. Pourtant, dès l’adolescence, autour d’elle, Aimée ne se priva pas de parler librement de la périlleuse traversée avec humour et recul. Pendant plus de vingt ans, elle a rêvé de témoigner un jour publiquement, parce qu’elle savait que son expérience pouvait inspirer. La forme que prendrait son récit restait un mystère pour elle. Puis, vint une illumination soudaine ce 15 mars 2020.

De sa cuisine éclairée par un soleil dominical de la mi-mars, la jeune femme enregistra une vidéo d’elle, évoquant son instinct de survie. Le parallèle qu’elle établit entre le confinement de son appartement et celui de la forêt équatoriale fut teinté de l’esprit de gaieté qui la caractérise depuis l’enfance. Aussitôt ses images et ses mots en kinyarwanda capturés, elle les partagea sur internet. Des proches, des connaissances et des inconnus furent captivés par la jovialité de la jeune franco-rwandaise. Une marée de messages de félicitations et d’encouragements afflua sur ses comptes des réseaux sociaux. L’utilisation de son histoire pour surpasser sa peur du virus aux couronnes inspira une audience inattendue. C’est en étant seule, cloîtrée chez elle, qu’Aimée entama un voyage de connexion avec les autres, qu’elle a attendu toute sa vie. L’univers peut nous réserver de la poésie, même dans un paysage sombre.

Par l’étalage public de ses talents de comédienne en kinyarwanda, Aimée se révéla sous un nouveau jour. Son aisance devant la caméra fut une surprise pour elle. Après cette première vidéo, l’inspiration pour d’autres sketches coula de plus belle. Pour chacune des scènes de trois à cinq minutes, la jeune femme décortiqua un thème lié à ce confinement printanier tout en exposant les mécanismes de résilience appris pendant la traversée périlleuse, qui lui servaient dans le contexte du virus aux couronnes. Elle dispensa allégrement son sérum de vérités à celles et ceux qui pouvaient l’ingérer. À coups de vagues de blagues, elle humidifia les plages d’espoirs d’hommes et de femmes en cours d’assèchements. À ces parents éreintés d’être enfermés jour et nuit avec leurs enfants, elle leur exposa comment elle a appris plusieurs langues pendant cent quatre semaines, sans cahiers ni crayons, au cours de cette traversée périlleuse de la forêt équatoriale. C’était sa manière de leur illustrer que ce confinement peut être saisi comme occasion d’apprendre des langues à leurs enfants. Par ailleurs, la peur face aux incertitudes fut le pain quotidien de l’enfant qu’elle était dans la forêt dense. Malgré qu’elle voyait tant de personnes perdre leurs vies en cours de route, sa foi en Dieu l’a suivi sur tout le chemin. À l’époque, la solidarité dont elle a été témoin, de la part de personnes qui étaient dépourvues matériellement, a arrosé son amour du service aux autres, ainsi que sa gratitude à l’univers pour toutes les bénédictions passées, présentes et futures. Ce qui lui insuffla cette idée simple et ludique partagée avec son audience : Trier tous les placards et préparer les futurs dons aux démunis matériellement. Quant à celles et ceux démunis d’outils d’équilibre émotionnel, ils et elles ont tout le loisir de s’inspirer des recettes d’Aimée dans tous ses confinements. Des recettes au goût de sa gratitude et au parfum de sa résilience.

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