Être né libre et égal aux autres ne prédestine pas à la liberté. C’est un coup de pouce, certes. Ce n’est pas une garantie. J’aurais pu venir au monde à une époque où les personnes qui avaient ma mélanine naissaient avec des chaines aux pieds. À jamais, je suis reconnaissant pour les sacrifices qui ont permis ma condition de naissance, même s’il me faudrait plusieurs vies pour connaître chaque homme et chaque femme qui y a contribué. Aujourd’hui, loin de la servitude de naissance, les privations de liberté sont plus insidieuses. Des chaînes mentales sont programmées pour asservir. Parfois les masques bienveillants des geôliers nous détournent de l’idée de questionner les stéréotypes dans lesquels nous sommes enfermés. Pourtant, des plans d’évasion sont disponibles. J’ai eu la chance d’en être avisé.
Pour le petit réfugié africain que j’ai été, la France fut une terre d’asile. Une partie de ma famille et moi y avons été accueilli, poussé à l’exil par les conflits tragiques des grands lacs. C’est dans l’hexagone, qu’une tempête silencieuse créa une révolution personnelle entre les murs du lycée. Des fois, il semble communément acquis que certains des gestes humains soient posés naturellement. Apercevoir par la sociologie que très rares sont les actions qui ne soient pas totalement imprégnées de culture, fut déconcertant. Je réalisai qu’on pouvait passer une vie à détricoter notre conditionnement, pour mieux nous comprendre. Un panorama de notions à explorer s’est présenté à moi. Parallèlement, les cours de philosophie se sont révélés être une rampe de lancement pour l’exercice de la pensée propre à soi. De manière à la fois consciente et inconsciente, j’ai développé cette pratique délicate grâce aux explorateurs de l’existence que sont les romanciers. Dans mon Panthéon des coups de cœur intellectuels, siègent notamment Romain Gary, Milan Kundera et Alain Mabanckou. Des français d’adoption, comme moi. Savourer les verbes élégants de leurs créations a contribué à mon processus de porter en haute estime la langue française. L’outil précieux de mon introspection.
La connaissance de soi est une responsabilité non négligeable dans la conquête de sa liberté. La passion de mettre des mots sur des émotions, développer des idées, les scruter en quête de nuances et s’en régaler face à soi-même offre l’opportunité d’être son propre thérapeute. Car, le mieux nous nous connaissons, le mieux nous sommes équipé à naviguer les océans de complexité de l’existence humaine. Le plaisir pris dans l’écriture n’est pas étranger à mon affection portée au français. Le plus j’ai écrit, le plus j’ai savouré la lecture. Et le plus j’ai lu, le plus j’ai élargi l’horizon de mon imagination. Je me suis délecté de la poésie de la vie déployée à travers des milliers de pages romanesques. Pas à pas, se développait chez moi un appétit d’observer le monde à travers le prisme de la nuance. Malgré les efforts à diriger notre regard vers l’humanité de chacun, nul n’est à l’abri des dangers des stéréotypes. Inconsciemment, nous mettons des personnes dans des cases en fonction de leurs situations temporaires. Balayant l’idée que comme nous, ils sont des êtres d’émotions, de talents et de rêves. Pire, la dignité de nombreux peuples a parfois été souillée au nom de l’exportation de valeurs universelles françaises. La déclinaison ethnocentrique de l’universalité a fait de vastes ravages dont il serait malhonnête d’ignorer les conséquences contemporaines.
Esclavage. Colonialisme. Néocolonialisme. Ne pas vivre dans le passé ne me prévient pas de prendre la mesure du poids de l’histoire. Si les vainqueurs essayent d’écrire l’histoire à leur avantage, c’est parce qu’elle a de nombreux enjeux de menottes mentales pour asseoir des dominations politiques, culturelles et économiques. Les propagandes dans les livres d’histoire étant complétées par les manipulations médiatiques à foison, nous devons apprendre à privilégier les sources les plus qualitatives pour notre éducation permanente. Écouter et entendre ceux qui ne pensent pas comme nous me semble aussi d’une importance capitale. Car l’entre-soi peut facilement mener à l’égarement. La xénophobie latente, parfois ordinaire sous des formes multiples, peut en témoigner. Face au confort de l’ignorance, les meilleures versions de nous-mêmes nous supplieraient d’être libres dans le tourment. Car, le malaise n’est que passager. Le goût de la liberté à l’horizon a une saveur transcendante. La viser est un exercice éternel. On n’est pas libre parce qu’on le croit. Mais il faut y croire pour pouvoir l’être.
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